UGTT, le syndicat qui a politisé la "Révolution du jasmin"

TUNIS (AFP) - Les cadres de second rang de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) ont joué un rôle crucial dans la chute du président Ben Ali en politisant la "Révolution du jasmin", au départ une fronde populaire aux revendications sociales partie de l'intérieur pauvre du pays.

Le Secrétaire général de l'UGTT Abdessalem Jrad, au centre, au cours d'une manifestation à Tunis le 3 juin 2010. (© - Fethi Belaid)
"Les structures régionales et locales de l'UGTT ont non seulement encadré et organisé la contestation sociale, mais lancé la manifestation du vendredi 14 janvier, qui a abouti au départ de Ben Ali", a expliqué à l'AFP, Hachémi Troudi, analyste et auteurs d'ouvrages sur le mouvement syndical.

Son analyse est corroborée par de nombreux témoignages de syndicalistes qui ont été aux premières loges du mouvement de contestation et organisé effectivement les manifestations à partir de la Place Mohamed Ali, le siège de la centrale syndicale à Tunis.

"Au moment où Abid Briki, le secrétaire général adjoint de l'UGTT lançait du balcon de notre siège un appel à des grèves régionales, j'ai demandé avec d'autres syndicalistes la chute de Ben Ali et conduit une marche qui le demandait clairement dans l'avenue Bourguiba", a déclaré à l'AFP, de son lit d'hôpital, un syndicaliste de base, Fethi Ben Ali D'bak.

"C'était jeudi (à la veille de la chute de Ben Ali) et la police politique m'a tabassé avant de disperser violemment la manifestation", ajoute M. D'bak hospitalisé pour une fracture du bras et une côte cassée.

Sous le régime de Ben Ali, l'UGGT a été plutôt sage en continuant à demander des relèvements de salaires et des avantages sociaux.

"La première fois qu'on a réalisé qu'il fallait donner un autre souffle au mouvement et revendiquer la chute de Ben Ali, c'était le 8 janvier lorsque des tireurs postés sur des toits ont abattu par balle des manifestants à Kasserine", dans le centre-ouest, a poursuivi M. D'bak.

"C'est la gauche syndicale qui a animé le mouvement et l'a encadré", analyse Chedli Laajimi, un intellectuel connaisseur des arcanes de l'UGGT où il a longtemps milité.

"La direction à Tunis était divisée sur la marche à suivre mais ce sont les unions régionales et locales qui ont canalisé la vague de colère", dit-il.

L'UGGT, qui revendique 350.000 adhérents, de toutes tendances idéologiques, est "la seule force dotée d'une implantation nationale avec le Rassemblement constitutionnel démocratique", le RCD de l'ex-président Ben Ali, rappelle-t-il.

Depuis la naissance du syndicalisme tunisien, dans les années 1920, le mouvement a entretenu un rapport d'alliances et de conflit avec le grand mouvement du Destour, de l'ancien président Habib Bourguiba, qui a pris le nom de RCD sous le régime de Ben Ali.

"Mais il y a toujours eu des velléités d'indépendance au sein de l'UGTT, où les militants de différents courants de l'opposition qui n'avaient pas la possibilité de s'organiser au sein de partis politiques trouvaient un espace pour militer", a rappelé M. Laajimi.

"L'UGTT a toujours gardé une capacité de mobilisation et n'a pas étouffé en son sein les voix discordantes, contrairement au RCD qui pratiquait la politique de la voix unique", relève Nasreddine Sassi, ancien journaliste d'Echaab, le journal de la centrale syndicale.

"Il ne faut pas oublier que les cadres régionaux et locaux de l'UGTT ont encadré ces deux dernières années le mécontentement social dans la bassin minier de Gafsa, (sud-ouest)", rappelle Mounir Kilani, chef d'entreprise originaire de cette région.

La population de Gafsa et de sa région, l'une des places fortes du syndicalisme tunisien, s'est soulevée en 2008 contre des favoritismes dans la désignation à des postes d'emploi de la société minière qui extrait les phosphates.

L'UGTT continue de jouer un rôle important dans les manifestations hostiles à la présence de membres du RCD dans le gouvernement de transition qu'elle n'a pas reconnu et dont elle a retiré trois de ses membres.