Des victimes du franquisme devant la justice grâce au procès Garzon

MADRID (AFP) - Le procès du juge Baltasar Garzon, qui a indigné les familles de victimes du franquisme, leur a paradoxalement permis mercredi de commencer à témoigner pour la première fois devant la justice espagnole.

Des manifestants ont installé, le 31 janvier 2012 à Madrid, une affiche géante avec les portraits de personnes disparues pendant la guerre civile espagnole. (© - Dominique Faget)
Les sept juges du Tribunal suprême qui devront décider de condamner ou non Baltasar Garzon pour avoir ouvert une enquête sur les disparus du franquisme verront ainsi défiler 21 témoins appelés par la défense jusqu'au 8 février.

Tous sont parents de victimes de cette époque ou membres d'associations luttant pour honorer leur mémoire.

Fine chevelure blanche, voix cassée, aidée d'un déambulateur, la première appelée à la barre, Maria Martin, 81 ans, recherche les restes de sa mère, fusillée en 1936 lorsqu'elle avait 6 ans et jetée dans une fosse en bord de route, dans le centre de l'Espagne.

"Ils l'avaient jetée en prison et la nuit du 21 (septembre 1936), ils l'ont sortie pour aller déposer devant la justice mais en chemin ils l'ont tuée, ils ont tué 27 hommes et trois femmes", a-t-elle déclaré à l'ouverture de l'audience.

Son père n'avait eu de cesse de récupérer ses ossements, jusqu'à son décès, en 1977. Mais il avait dû s'incliner face à la loi du silence, a-t-elle expliqué en réponse aux questions de l'avocat de Baltasar Garzon.

"Va-t-en, ne nous réclame plus rien à moins que tu veuilles que nous te fassions ce que nous lui avons fait à elle", répondait-on à son père, selon Maria Martin.

Une menace d'autant plus cruelle que la famille savait parfaitement, depuis cette nuit de septembre 1936, où se trouvait sa fosse commune.

"Nous savons où elle est: il faut compter 11 ou 12 mètres depuis le pont et c'est là qu'ils l'ont jetée", a affirmé Maria Martin.

"Pour la première fois devant un tribunal, ces gens-là vont pouvoir raconter ce que leur a infligé la dictature", expliquait avant le procès Emilio Silva, président de l'Association pour la mémoire historique, lui-même petit-fils d'une victime du franquisme.

"Que des gens des petits villages viennent raconter devant le Tribunal suprême ce qu'on leur a fait, c'est impressionnant", disait-il.

Autre témoin, Pino Sosa, 75 ans, était venue depuis l'Archipel des Canaries pour témoigner, mercredi.

"Quand ils ont pris mon père, j'étais toute petite", s'est-elle souvenue devant les juges. "Ils nous ont alors enlevé la joie de la maison, car ma mère était malade et elle cherchait mon père."

Emue après l'audience, Pino Sosa s'indignait de voir le juge Garzon forcé de défendre son enquête sur les disparus du franquisme.

"C'est la justice qui juge la justice, car nous étions juste venus chercher justice", a lancé la vieille femme.

Ce sont en effet les plaintes de membres d'associations luttant pour la défense de la mémoire histoire qui avaient conduit le juge Garzon, 56 ans, à ouvrir une enquête sur plus de 100.000 disparus du franquisme entre 2006 et 2008.

Il est aujourd'hui accusé par deux associations d'extrême droite d'avoir, avec cette instruction, enfreint la loi d'amnistie votée en octobre 1977, deux ans après la mort de Francisco Franco, qui était censée imposer un pacte du silence sur les années noires de la Guerre civile (1936-39) et de la dictature (1939-75).

Les faits décrits par les familles des victimes pouvaient être qualifiés "dans certains cas de crimes contre l'humanité, de génocide", qui ne peuvent donc pas être prescrits ni tomber sous le coup de cette loi d'amnistie, a expliqué Baltasar Garzon, mardi, devant le tribunal.

Le magistrat risque jusqu'à vingt ans d'interdiction d'excercer, une condamnation qui mettrait fin à sa carrière. Le tribunal avait décidé mardi de mener le procès à son terme, en dépit d'une demande d'annulation soutenue par la défense et par le parquet lui-même, qui mettaient en avant la faiblesse de l'accusation.