Tchétchénie : Kadyrov obtient le pouvoir absolu dans un contexte fragile

MOSCOU (AFP) - Ramzan Kadyrov, 30 ans, prend officiellement jeudi la tête de la Tchétchénie, une république russe du Caucase ravagée par la guerre où il exerce d'ores et déjà un pouvoir absolu dans une atmosphère d'impunité au risque de devenir un jour incontrôlable.

Ramzan Kadyrov le 20 février 2007 à Grozny (© AFP/Archives - Ruslan Alkhanov)
"Je jurerai sur le Coran devant mon peuple de respecter la Constitution et le Coran et d'être fidèle aux peuples russe et tchétchène", a-t-il déclaré fin mars lors d'un pèlerinage à La Mecque en évoquant son investiture officielle le 5 avril.

Fort de ses redoutables milices, souvent accusées d'exactions, et de la bénédiction du président russe Vladimir Poutine, ce fils de l'ex-président tchétchène Akhmad Kadyrov est de facto numéro un de la Tchétchénie depuis la mort de son père, tué dans un attentat en 2004. Il a rapidement éclipsé le nouveau président Alou Alkhanov, qui a finalement donné sa démission en février.

Soucieux d'asseoir son autorité et de gagner le respect des Tchétchènes, Ramzan Kadyrov mène une large reconstruction qui ravit même ses détracteurs et promet de défendre les droits de l'Homme.

Ses relations avec Moscou ne sont toutefois pas sans nuages et le système reposant sur le pouvoir d'un seul homme, déterminé et ambitieux, est très fragile, surtout en Tchétchénie, mettent en garde les experts.

"La société tchétchène est profondément divisée. Ceux qui étaient loyaux à l'égard de Moscou sont indignés que les ex-rebelles soient aujourd'hui au pouvoir", explique Alexeï Malachenko, spécialiste du Caucase au Centre Carnegie de Moscou en rappelant qu'Akhmad Kadyrov avait appelé au djihad contre Moscou lors du premier conflit (1994-96).

Pour beaucoup en Tchétchénie où la vendetta existe toujours, "Ramzan Kadyrov est quelqu'un contre qui on doit se venger" mais "s'il est tué, il y a un risque de guerre civile", ajoute M. Malachenko.

Les défenseurs des droits de l'Homme dénoncent, eux, un culte de la personnalité.

"En Tchétchénie règnent à la fois la peur et l'adoration, un culte de personnalité exactement comme sous Staline", estime Oleg Orlov de l'ONG Memorial tout en espérant que les promesses de Kadyrov de lutter contre la torture ne resteront pas lettre morte.

Le nouveau président tchétchène Ramzan Kadyrov (d) et Dmitry Kozak, représentant spécial du président russe, à Grozny, le 2 mars 2007 (© AFP - Dimitri Nikoforov)


Zaïnap Mejidova, qui dirige à Grozny l'ONG Nena Ortsa de mères dont les fils ont disparu, ne voit pour l'instant pas de changements.

"Ceux qui sont proches du pouvoir sont bien traités. Nous, on nous renvoie d'une institution à l'autre sans succès", soupire-t-elle. "Au pouvoir, ils sont tous parents, pour d'autres il est même impossible de trouver un travail sans payer", ajoute-t-elle.

"Le problème essentiel est que tout se passe dans un contexte de non-droit", estime Tatiana Lokchina du groupe Helsinki en Russie. Enlèvements et tortures, passés ou plus récents, restent le plus souvent impunis.

"Les résultats de la reconstruction sont saisissants" mais elle est financée "grâce à un système de racket vertical où tout le monde est obligé de contribuer, par exemple les instituteurs doivent sacrifier leurs primes de fin d'année", souligne Mme Lokchina.

"Il y a moins de disparitions" que les années précédentes mais "les gens ont peur de les dénoncer et nous ne connaissons pas les chiffres réels", poursuit-t-elle.

Pour Grigori Chvedov, rédacteur en chef du journal en ligne Kavkazski Ouzel (Noeud caucasien), Ramzan Kadyrov qui dépasse déjà ses compétences risque de devenir "un dirigeant incontrôlable" pour Moscou.

"Il se sent comme un leader de tribu prêt à défendre les Tchétchènes" y compris hors de Tchétchénie, souligne-t-il en rappelant que ses hommes ont déjà débordé des frontières en participant à des affrontements au Daguestan et en Ingouchie, deux républiques voisines instables du Caucase.

A Moscou "on ne lui fait pas confiance, surtout les forces de l'ordre" et "si les troupes russes quittent la république, il fera ce que bon lui semble", estime M. Malachenko. Et "il contrôle les revenus du pétrole et ne veut pas les partager avec des fonctionnaires à Moscou contrairement à ses prédécesseurs".