Les fonds marins "ressemblent à des zones industrielles délabrées"

MARSEILLE (AFP) - De nombreux fonds marins "ressemblent aujourd'hui à des zones industrielles délabrées", déplore un des plus grands biologistes marins au monde, Daniel Pauly, estimant que les Etats n'ont "plus que dix ans" pour mettre fin aux ravages de la surpêche et de la pollution.

Daniel Pauly le 20 mars 2009 à Marseille (© AFP - Michel Gangné)
"Les fonds marins des plateaux continentaux sont aujourd'hui comme des zones industrielles délabrées mais les émissions sur la nature nous montrent toujours une mer belle, avec des poissons en abondance. Résultat, les gens nous disent: +de quoi parlez-vous ?+ quand on leur dit que la mer se casse la gueule et qu'on tire la sonnette d'alarme contre la surpêche", regrette Daniel Pauly dans un entretien à l'AFP, à Marseille.

Ce Français, bardé de récompenses internationales pour ses travaux scientifiques et directeur du Fisheries Center de l'université de Vancouver (Canada), est le premier à avoir dénoncé l'inquiétante baisse mondiale des stocks de poissons.

Si au début, une partie des scientifiques le voyait comme trop activiste et catastrophiste, son diagnostic est aujourd'hui largement partagé et ses bases de données (fishbase.org) font référence.

Dans son dernier rapport, l'agence de l'Onu pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) précise que 19% des principaux stocks halieutiques des pêches marines commerciales qu'elle suit sont "surexploités et 8% épuisés". Et la surexploitation guette la moitié des autres stocks.

Or, une fois qu'on a épuisé un stock, "la situation est souvent irréversible", note Philippe Cury, directeur du Centre de recherche halieutique méditerranéenne et tropicale (CRH), qui a invité Daniel Pauly en résidence.

Philippe Cury décrit un monde marin nanisé: "Nos grands-mères avaient des poissonnières qui faisaient 80 centimètres. Aujourd'hui, avec les effets de la surpêche, qu'est-ce qu'on mettrait dedans ? 93% des poissons font moins de 20 cm!".

M. Pauly et Cury jugent que les décideurs politiques "doivent réagir dans les dix ans qui viennent, sinon, la pêche, ce sera comme le charbon au XIXe siècle. On en parlera avec des sanglots dans la voix".

M. Pauly reproche aux politiques, notamment dans les pays dits développés, de ne pas saisir la nature du problème: "Nos dirigeants politiques n'arrivent pas à comprendre qu'encourager l'effort de pêche contribue à diminuer les apports de la pêche" et l'existence de cette activité à terme.

Selon lui, les subventions à la pêche (34 milliards d'euros en 2000, selon ses calculs) aboutissent à vider les océans.

La solution passe-t-elle par un arrêt de la consommation dans les pays où le poisson n'est pas une source principale de protéines ? Ou par des achats ciblés?

"Manger ou pas du poisson n'est pas très important si après je vais voter pour un parti ou un député qui va subventionner la pêche industrielle", ajoute-t-il, prônant une action des citoyens par le vote.

Né d'une mère française en 1946 et d'un père GI afro-américain, Daniel Pauly a connu la lutte pour les droits civiques et l'engagement pour des relations plus équilibrées entre le nord et le sud.

Il estime qu'aujourd'hui la surpêche, principalement pratiquée par les Européens, Nord-Américains, Chinois et Japonais, menace les populations au sud qui dépendent du poisson pour leurs apports alimentaires.

Il cite malgré tout des formes de gestion encourageantes comme pour le colin noir en Alaska.

M. Cury évoque, lui, des méthodes alternatives de pêche, à plus petite échelle et moins polluantes mais qui sont encore trop souvent "la risée des gros pêcheurs".

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