"La France nous a lâchés", accusent des Tunisiens |
TUNIS (AFP) - "Nous sommes très remontés contre la France, vous nous avez lâchés": après la chute d'un régime honni, de nombreux Tunisiens font part de leur déception et de leur colère envers l'ancienne puissance qui avait placé le pays sous protectorat et son "ami Ben Ali". |
"L'Etat français est bien informé, il sait tout ce qui se passe en Tunisie. Et pourtant, il nous a lâchés. Que Nicolas Sarkozy aille rejoindre son ami Ben Ali", s'emporte Hedia Khabthani, habitante de La Goulette, un port au nord de Tunis, évoquant le président français et son homologue tunisien renversé.
La France a maintenu une extrême prudence dans sa réaction aux événements en Tunisie: ce n'est que le 13 janvier, veille de la chute de Zine El Abidine Ben Ali, que, par la voix du Premier ministre François Fillon, elle a condamné "l'utilisation disproportionnée de la violence" par la police tunisienne.
La ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, focalise les critiques. Elle avait proposé à l'ancien régime l'aide de la France pour le maintien de l'ordre, au plus fort des manifestations et alors que les ONG faisaient déjà état de dizaines de morts tuées à balles réelles par la police.
"La France c'est la patrie des droits de l'homme et Michèle Alliot-Marie voulait envoyer des renforts à Ben Ali pour nous réprimer! Qu'elle les garde, elle en aura besoin pour la prochaine élection présidentielle" de 2012 en France, enrage Mme Khabthani.
La colère ne se traduit toutefois par aucune manifestation d'hostilité envers les Français. Et il y foule devant l'entrée du service des visas de l'ambassade de France.
Mais les Tunisiens n'oublient pas ces dirigeants français de tous bords qui vantaient la gestion du président Ben Ali, présenté comme un rempart contre l'islamisme.
"La France avait peur des islamistes, mais vous en avez vu, vous, des islamistes en Tunisie? On est pour l'islam, mais les Tunisiens ne sont pas pour l'islamisme. On a la mosquée ici, les bars là-bas, et le vendredi je vais aux deux", témoigne Saber Ben Salah, chauffeur de taxi à Tunis.
Les médias témoignent aussi de la colère des Tunisiens, qui s'identifient davantage à l'Europe qu'à l'Afrique du Nord: "La France, pays de la Révolution, celle qui nous a légué la Déclaration des droits de l'homme, la France s'est contentée de regarder à la télévision les images de manifestants tunisiens baignant dans leur sang, sans piper mot", dénonçait ainsi jeudi Le Quotidien.
Pour Abdelaziz Mezoughi, avocat et journaliste, les Tunisiens entretiennent un lien rapport particulier avec la France: "D'un côté nous avons un rapport extraordinaire avec les idées de la révolution, mais en même temps elle reste l'anciennne puissance coloniale".
La Tunisie fut placée sous protectorat français de 1881 à 1956.
"Je me souviens de la phrase de (l'ancien président Jacques) Chirac qui avait dit, en Tunisie, que le pain est plus important que la liberté. Nous avons été déçus", reconnaît-il.
Mustapha Ben Jaafar, dirigeant du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL, ex-opposition à Ben Ali), évoque les "liens historiques, économiques, personnels même", très forts entre les deux pays et déplore "l'incompréhension des autorités françaises".
"La révolution est le couronnement d'un combat mené par de nombreux courants depuis des années pour la liberté et la démocratie. Mais les dirigeants français nous qualifiaient de farfelus, de gens déconnectés de leur pays, une attitude essentiellement motivée par des intérêts économiques et financiers", regrette Mustapha Ben Jaafar.
Certains Tunisiens relèvent toutefois le changement d'attitude de Paris, qui a annoncé le blocage d'éventuels "mouvements financiers suspects" des avoirs tunisiens en France.
"Nous sommes contents que la France ait refusé d'accueillir Ben Ali et surtout qu'elle bloque les comptes de la famille, tout l'argent volé au peuple qui doit lui revenir", explique Mongi, un habitant de Tunis.
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Publié le: 22/01/2011 à 11:19:23 GMT |
Source : AFP |
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